Le bien le plus convoité sur le marché, c’est votre attention, notamment votre attention numérique. Le monde est mis à notre disposition en permanence, au bout de nos doigts, et nous sommes constamment sollicités.
Dans cet article, je vous propose des pistes de réflexion, mes conseils et mes outils, pour reprendre le contrôle de votre attention, pour être plus conscients de la manière dont vous l’utilisez, et pour la protéger afin de construire une vie qui soit alignée à ce qui compte vraiment pour vous.
Pourquoi est-ce que notre attention nous échappe ?

Dans notre monde moderne, l’information est surabondante, Michel Serres nous le dit dans Petite Poucette, nous sommes :
« saturés de musaque, le tintamarre des médias et le vacarme commercial assourdissent et endorment, de bruit navrant et de drogues calculées, ces voix réelles, plus les virtuelles des blogs et des réseaux sociaux, dont le chiffre, innombrable, atteint des totaux comparables à la population de la planète. Pour la première fois de l'histoire, on peut entendre la voix de tous. La parole humaine bruit dans l'espace et par le temps. »
Nous sommes sollicités constamment par les technologies, on parle d’économie de l’attention. L’attention est devenue une marchandise, un bien de consommation à capter et à retenir pour lequel les entreprises se battent.C’est particulièrement vrai dans le domaine des services en ligne, on dit d’ailleurs : « si c’est gratuit, c’est que c’est vous le produit ».
S’il est si difficile de s’en libérer, ce n’est pas parce que vous manquez de volonté ou de discipline, c’est parce que les moyens déployés, les mécanismes à l'œuvre pour nous y faire passer toujours plus de temps nous dépassent totalement. Il faut bien retenir que nos réseaux sociaux et nos applications sont dopés à une connaissance et une utilisation très fine de la psychologie humaine. Ils sont conçus justement dans le but de nous inciter à passer le plus de temps possible sur les plateformes, pour capter l’attention et encourager les comportements répétés. Il n’y a aucun hasard, ce sont des machines ficelées avec une grande finesse et intelligence, qui exploitent nos biais et faiblesses. Je vous conseille à ce sujet l’excellent documentaire Derrière nos écrans de fumée de Jeff Orlowski.
Dans son ouvrage Aliénation et accélération, Harmut Rosa nous explique que l’injonction à l’accélération de la société moderne nous entraîne dans un rapport agressif avec le monde : nos listes de choses à faire sont plus longues que ce que le temps nous permet d’accomplir.
C’est l’expérience majeure de notre modernité : aller plus vite, plus loin, en moins de temps, être toujours plus efficace. Cette accélération du rythme de vie se définit comme l’augmentation du besoin de faire plus de choses en moins de temps. Elle est à l’origine de notre sensation de « famine temporelle », qui est paradoxale car l’accélération technique devrait nous « offrir » du temps. Nous n’avons jamais eu autant de temps et pourtant nous n’avons jamais eu autant l’impression de manquer de temps ce qui crée une sorte d’asphyxie mentale.
L’accélération technique devrait nous permettre de gagner du temps… si la quantité d’actions reste la même. Or, nous constatons que tous les éléments sujets à l’accélération technique ont invariablement subi une hausse du besoin, ou du nombre d’actions. Par exemple, un mail met deux fois moins de temps à être rédigé qu’une lettre, mais maintenant nous en écrivons dix fois plus. Lorsque l’accélération est inférieure à la croissance du besoin, nous ne gagnons pas du temps, nous en perdons.
Le problème est que nous vivons alors en surface de nous mêmes.
Moi, j’ai envie de vous encourager à ralentir. À nager à contre-courant de l’aliénation. Et à vous intéresser davantage à la qualité qu’à la quantité dans votre quotidien.
1ère étape pour reprendre le contrôle de votre attention : la prise de conscience
SE POSER LES BONNES QUESTIONS
La première étape de tout changement, c’est la prise de conscience. Savoir, c’est pouvoir.
Je vous encourage à prendre le temps d’identifier tous les éléments de votre vie qui vous dérobent votre attention sans même que vous ne vous en rendiez compte ou que vous le vouliez vraiment. La plupart devraient très probablement vous amener vers les mêmes coupables : les écrans.
Ensuite, comprenez les enjeux et les impacts de cette dissolution, de cette fragmentation involontaire de votre attention :
Identifiez également les déclencheurs de l’éparpillement de votre attention, avec des questions comme celles-ci :
LE POUVOIR DES HABITUDES
Comprenez les impacts que peut avoir sur votre vie ce manque de contrôle de votre propre attention.
Cela peut sembler difficile à voir au jour le jour, mais si vous prenez un peu de hauteur, vous verrez que les habitudes ont un rôle prépondérant dans nos vies. À long terme, ce sont les habitudes qui façonnent notre vie. Les petites actions, souvent inconscientes, que nous répétons régulièrement. Avec le temps, ces habitudes s’accumulent, se renforcent et influencent notre bien-être global.
Les habitudes positives, telles qu’une gestion efficace du temps et l'apprentissage continu, peuvent mener au succès de vos projets et à l'épanouissement. En revanche, les habitudes négatives, comme la procrastination, un temps d'écran excessif ou une mauvaise hygiène du sommeil, peuvent entraver notre progression et causer du stress.
Construire ses habitudes en conscience, en accord avec nos objectifs et nos valeurs est un outil puissant pour orienter nos vies dans les directions que nous désirons.
Je vous conseille l’ouvrage Atomic Habits de James Clear à ce sujet (Un rien peut tout changer, en français). Cette vidéo (en anglais) résume très bien l’ouvrage.
Tout projet sans plan, sans action, reste simplement un rêve. L’action est ce qui transforme une idée en réalité. C'est par l'engagement dans des actions tangibles que nous pouvons progresser vers nos objectifs et donner vie à nos aspirations.
« C'est ainsi que l'on agit dans toute morale, dans toute religion régnante, et l'on a toujours agi ainsi: les intentions et les raisons que l'on met derrière l'habitude sont toujours ajoutées mensongèrement lorsque quelques-uns commencent à contester l'habitude et à demander les raisons et les intentions. »
Le Gai Savoir, Nietzsche
Nietzsche nous encourage à nous méfier de nos habitudes. Selon le philosophe, les habitudes forment l’individu. Nos habitudes, nos routines et nos comportements répétés façonnent notre caractère et notre identité. La volonté de puissance, c'est-à-dire le désir inné de réaliser son plein potentiel, doit être ce qui motive la formation de nos habitudes. Nous devons les créer, les définir, les pratiquer en conscience, et non laisser des facteurs extérieurs dicter nos comportements et nos habitudes à nos places.
Si l’on suit aveuglément les schémas de comportement préétablis, sans remettre en question leur légitimité ou leur utilité, alors nous devenons esclaves de nos habitudes. Le risque étant très élevé de devenir notamment esclave de nos écrans : si nous ne choisissons pas là où nous mettons notre attention, d’autres se chargeront de le faire à nos places.
Je vous encourage à être actifs dans la création de vos habitudes, actifs dans le choix de là où vous portez au quotidien votre attention.
L’habitude peut à la fois être une force formatrice et une entrave à la liberté individuelle, utilisons-la à bon escient. Elle a un impact puissant sur notre personnalité, notre liberté d’être et de devenir.
2ème étape pour reprendre le contrôle de votre attention : l’utilisation de son attention en conscience

L’IMPORTANCE DE CHOISIR POUR SOI
Comment avez-vous envie d’utiliser votre attention ?Plutôt que de vous soumettre à la méthode du tout ou rien, je vous encourage à définir une utilisation en conscience, intentionnelle, de votre propre attention.
Choisissez, ce à quoi vous vous exposez, en prenant soin d’identifier ce qui fonctionne pour vous, sans essayer de coller à des modèles prédéfinis, créez le vôtre.
Choisissez, quelles notifications vous recevez, à quelle heure vous les recevez.
Personnellement, j’utilise beaucoup mon téléphone pour mon travail et j’utilise régulièrement plusieurs outils et habitudes pour mieux contrôler mon attention :
- Je mets mon téléphone en mode avion la nuit
- Je range toujours mon téléphone hors de vue lorsque j'échange avec une personne physique
- J’utilise la fonction “ne pas déranger” de mon téléphone, qui coupe toute notification. Une simple notification peut avoir un effet significatif sur l’attention, même si elle ne dure que quelques secondes, en détournant l’attention vers elle. L’attention peut rester fragmentée pendant un certain temps et il faudra un petit moment pour revenir à l’état de concentration.
- J’utilise l’application AppBlock lorsque je constate que je suis trop distraite par mon téléphone et particulièrement par les réseaux sociaux.
L’ART DE SE PRÉPARER LA VEILLE
Soljenitsyne par exemple, faisait un petit travail, pas plus de dix minutes, la veille de sa journée de travail, pour préparer ce qu’il allait faire le lendemain. Cela peut-être préparer son livre, ses documents, ses crayons, son ordinateur, son poste de travail, écrire quelques mots.
Cette méthode permet de se mettre en état le matin au réveil, de faire tout de suite ce que l’on a décidé que l’on ferait la veille, sans même y réfléchir.
Cela empêche de devoir faire face à la fatigue décisionnelle et ainsi risquer l’inaction. Elle permet aussi de pratiquer la discipline, qui elle-même permet d’activer le circuit de la récompense.
Notre cerveau réagit à des comportements positifs en libérant des neurotransmetteurs comme la dopamine, associant ainsi ces actions à une sensation de plaisir et de satisfaction. Ce circuit joue un rôle crucial dans le renforcement des habitudes et des comportements. Lorsque nous accomplissons quelque chose de gratifiant, notre cerveau enregistre cette expérience comme positive, ce qui nous encourage à répéter ce comportement à l'avenir. En nous fixant des objectifs clairs et en mettant en place des actions concrètes pour les atteindre, nous pouvons déclencher le circuit de la récompense en ressentant la satisfaction d’avoir fait ce que l’on avait dit que l’on allait faire. Cela renforce notre motivation intrinsèque, notre confiance en nous-mêmes, et nous aide à maintenir nos engagements à long terme.
BIEN PENSER
Nos pensées contrôlent notre perception du monde et de nous-mêmes. Ne mésestimez pas le pouvoir de vous persuader de ce dont vous êtes capables ou non, de vous persuader ou non d’être d’une certaine manière.
Si on vous a répété depuis l’enfance que vous êtes une personne timide, vous avez peut-être intégré cette croyance sans même la remettre en question. Peut-être êtes-vous véritablement timide, peut-être ne l’êtes-vous même pas.
Prenez conscience de vos pensées. Prenez le temps de réfléchir à ce que vous croyez être vrai sans jamais l’avoir remis en question.
Écoutez la façon dont vous vous parlez à vous-mêmes. Et ajustez.
Nos croyances sur nous-mêmes et sur ce que nous sommes capables d'accomplir peuvent influencer nos actions de manière significative. Si nous nous persuadons de nos capacités et de notre valeur, nous sommes plus susceptibles de prendre des initiatives et de persévérer face aux défis. De même, si nous nous convainquons que nous sommes incapables ou limités, cela peut nous empêcher d'explorer notre plein potentiel.
Se dire “je n’y arriverai pas” ou au contraire “je suis en train d’accomplir mes rêves” est infiniment puissant. La parole, pensée ou oralisée, est créatrice, et conditionne le cerveau. Choisissez bien vos mots. Choisissez bien vos pensées.
3ème étape pour reprendre le contrôle de votre attention : cultiver la présence

Cultiver la présence est un outil merveilleux pour vivre pleinement chaque instant, améliorer votre relation à vous-mêmes, aux autres et au monde qui vous entoure.
Il s’agit de prendre conscience du moment présent, d’observer sans juger ses pensées, émotions, sensations corporelles. Il s’agit d’écouter pleinement son interlocuteur, sans déjà être en train de penser à la réponse qu’on va lui formuler.
Être présent à soi, être présent aux autres, est l’un des plus beaux cadeaux qu’on puisse se faire et faire à ceux qui partagent notre chemin dans notre monde surchargé et dissipé.
J’aime beaucoup le concept japonais yutori, qui se traduit par espace, un espace qui va au-delà de l’espace physique, un espace mental et émotionnel de tranquillité d’esprit, un espace dans un moment calme.
Il encourage à cultiver une approche attentive de la vie, à être présent dans le moment, à savourer la richesse de la vie.
La poétesse Naomi Shihab Nye raconte sa première rencontre avec le mot yutori dans le podcast OnBeing radio. Une de ses étudiantes lui a décrit le concept de yutori comme celui de vivre avec cet espace, et elle donne cet exemple que je trouve magnifique et inspirant :
« And after you read a poem just knowing you can hold it, you can be in that space of the poem. And it can hold you in its space. And you don’t have to explain it. You don’t have to paraphrase it. You just hold it, and it allows you to see differently. »
« Après avoir lu un poème, il suffit de savoir qu'on peut le tenir, qu'on peut être dans l'espace du poème. Et il peut vous tenir dans son espace. Et vous n'avez pas besoin de l'expliquer. Vous n'avez pas à le paraphraser. Il suffit de le tenir, et il vous permet de voir différemment. »
4ème étape pour reprendre le contrôle de votre attention : accepter et embrasser l’échec
Acceptez de ne pas toujours parvenir à contrôler votre attention, acceptez d’avoir été distrait, ne vous flagellez pas parce que vous avez passé 30 minutes à scroller sans réfléchir, de manière automatique, alors que vous vous étiez promis de faire ceci ou cela. Vous l’avez fait, c’est tout, vous ne pouvez pas revenir dessus : passez à autre chose.
De nouveau, je vous encourage à quitter la mentalité du tout ou rien.
Ce n’est pas parce que vous avez scrollé 1 heure sur votre téléphone ce matin que votre journée n’est plus bonne à rien. Vous pouvez toujours accomplir vos objectifs à 16 heures, à 18 heures, à 20 heures… Vous n’avez ni besoin d’attendre le lundi, ni besoin d’attendre le premier janvier pour agir. Comme vous n’avez pas besoin de jeter tous vos efforts à la poubelle juste parce que vous avez failli à vos résolutions une heure, une journée, ou même une semaine.
Le progrès n’est pas linéaire. Acceptez-le, apprenez à rebondir rapidement.
Observez-vous de manière neutre, sans jugement.
Plutôt que de vous punir ou vous blâmer pour des erreurs ou des échecs, récompensez-vous pour les progrès réalisés ou les efforts fournis, concentrez-vous sur le positif. C'est bien plus constructif et cela vous permettra d’alimenter votre motivation et de progresser plus rapidement.
Et vous ?
Quelle est votre expérience avec votre propre attention ? Racontez-moi dans les commentaires vos meilleures astuces pour la préserver.